On ne vous fera pas l’injure de vous présenter Antoine Wielemans, le talentueux et inspiré chanteur/guitariste de Girls In Hawaii avec qui il enregistre cinq albums entre 2003 et 2017. Autant l’écrire d’emblée pour les fans de la mélancolique formation belge, son échappée en solitaire avec Vattetot, un épatant premier album en français entièrement écrit, joué, composé et mixé par l’intéressé ne remet nullement en question l’avenir des auteurs de Everest (2013) ou du plus récent Nocturne (2017).
Ceci posé, comme pour tout le monde, il y a toujours un moment où le syndrome de la mise en danger finit par pointer le bout du nez. Se remettre en question, se réinventer, défricher, explorer... «J’avais surtout envie, au sortir de la tournée Nocturne, de nouveauté. Avec ce vieux fantasme d’apprendre le piano, et d’écrire pour moi, sans les contraintes et les compromis inhérents à la vie d’un groupe, et sans savoir ce qui allait en sortir. J’ai essayé quelques morceaux en anglais mais ça sonnait trop Girls et le français s’est imposé assez naturellement» concède-t-il.
Après avoir été baigné au son du rock anglo-saxon de Nirvana, des Pixies, de Pearl Jam, ou de Radiohead aux débuts de Girls In Hawaii, l’artiste opère une transition dans ses choix musicaux depuis une petite dizaine d’années en se plongeant dans l’œuvre de Serge Gainsbourg tout en écoutant en boucle les disques de Mathieu Boogaerts. Dans l’Hexagone, cette dernière décennie est exceptionnellement riche et propose une volée d’artistes à l’univers singulier, comme Bertrand Belin, Albin de la Simone, ou Flavien Berger.
« Je me rends compte que ce que j’écoute pour mon propre plaisir, c’est à 80% en français».
En novembre 2019, Antoine s’installe deux semaines dans une maison de Vattetot-sur-Mer, entre Fécamp et Etretat. «J’aime bien m’isoler avec mon matériel et m’obliger à ramener quelque chose. Je mange quand j’ai faim et j’écris la nuit». Antoine a sa petite routine: lever entre 11 heures et midi, déjeuner, balade en bord de mer histoire de s’oxygéner tout en s’interdisant de consulter boîte mail et téléphone. Puis une session de trois ou quatre heures l’après-midi pour préparer la base de travail de l’après repas du soir. Ensuite, nouvelle tranche horaire entre 20h et minuit et si le résultat est moins satisfaisant, Antoine ferme son ordinateur et va se coucher avec une bande dessinée. Par contre, s’il « tient quelque chose d’excitant », c’est la frénésie et l’euphorie propre à la création et la nuit passe à la vitesse de l’éclair. «C’est parfois violent et confrontant parce que je n’ai pas beaucoup de distractions mais ça m’amène à des choses plus intérieures. C’est un moment où je peux m’autoriser plus de tristesse. Je peux ouvrir les vannes, ça peut m’arriver de chialer et en même temps, il y a une espèce de combat pour composer».
Antoine Wielemans retourne à Vattetot-sur-Mer en février 2020 pour une deuxième et dernière période et revient à Bruxelles quinze jours plus tard avec un album composé et écrit à 80 %. Quelques écoutes à des proches gonflent son capital confiance et lui donnent envie d’achever ce qui deviendra Vattetot.
« J’ai encore écrit quelques chansons à Bruxelles dans la maison d’un ami où je m’enfermais quelques heures par jour au début du premier confinement, ce qui m’a un peu sauvé. Avec comme motivation d’y mettre un terme avant la fin de l’année ». Chose faite au Rare Sound Studio pour le mastering sous la houlette de Rémy Lebbos juste avant le 31 décembre. Ecrit sur une période bien précise où les éléments étaient aussi déchaînés qu’inspirants, Antoine Wielemans propose neuf chansons d’une beauté formelle qui touche l’âme et le cœur comme autant de cartes postales intimes et introspectives sur des mélodies ouatées, aériennes, entêtantes et enveloppantes. Du lyrique « Sel », premier single sorti en mars 2021 (avec un clip signé Manou Milou), au plus électro « Blanche » qui conclut ce voyage doux et mélancolique construit essentiellement autour des claviers et de boîtes à rythmes, Vattetot évoque les doutes et les interrogations d’un homme de 42 ans dans une société de plus en plus ballotée, divisée et insécurisante sans sombrer dans le misérabilisme. Un album somme toute adulte et fragile, délicat et mature, renversant et étincelant, dont on se réjouit déjà de découvrir la déclinaison scénique.